Libération

Dans le supplément de Libé sur les faits divers, il y en a un qui a attiré particulièrement mon attention et m’obsède.

Un jeune homme vivait dans un petit appartement.

En l’absence de son voisin, il a cassé le mur mitoyen à coups de masse, est passé de l’autre côté, et s’y est installé, trouvant l’endroit accueillant.

Il est à l’asile maintenant et pourtant son explication était très défendable : il a dit s’être « pris pour un pharaon dans une pyramide ».
Il avait découvert une nouvelle salle et aurait probablement cherché son chemin jusqu’à la sortie.

Une logique, une curiosité, une audace, une volonté dont peu de gens osent faire preuve !

Ce type est mon héros.

Je suis un peu jalouse de ne pas y avoir pensé en premier et le geste n’aurait donc plus d’intérêt.
Mais je rêve depuis que je défonce des murs blancs vers un inconnu enchanté.
J’ai un marteau et j’y mets tout mon cœur.

Mon appartement, mon immeuble, la multitude sinueuse de rues entrelacées, les bâtiments qui touchent le ciel : que de béton à traverser, exploser, oublier pour m’évader.
C’est trop.

J’ai un plan. De la cité. Il recouvre tout un mur des toilettes et je suis un petit point au milieu.
Du haut en bas, de gauche à droite, j’ai beau chercher, il n’offre que de la ville, du jaune… quelques taches, mais aucune ouverture, aucun espoir vert, vers une sortie !

Alors comme je ne sais où diriger ma quête, je reste chez moi, continuant de scruter, mémorisant les noms de boulevards, de places, d’avenues et ceux prometteurs qui commencent par « Porte ».

60 mètres carrés ne suffisent pas à donner un horizon.

Dans la rue c’est pire, car les hommes se mêlent aux obstacles fixes pour en former de mouvants, imprévisibles, à éviter comme dans un jeu vidéo.

Afin d’imaginer une colline, un paysage champêtre qui se substituerait aux enseignes, tout en gardant les yeux ouverts pour ne pas me blesser en heurtant les plots, me ramasser en ratant les trottoirs, j’ai réussi à flouter : je suis devenue myope.
De plus en plus.
Cela rend les choses moins effrayantes d’atténuer leurs contours.
Encore faut-il maîtriser l’évolution du processus et ne pas céder à la tentation de trop effacer.
Sinon je serai aveugle dans quelques années et j’ai si peur de n’avoir alors que cette réalité bitumée à offrir comme souvenir de fond d’écran à mon champ de vision imaginaire.

Si je sortais de ce labyrinthe, je sais que tout redeviendrait clair et net autour de moi.

Je verrais le lointain, le ciel devant, plus seulement au dessus, la ligne pure qu’il formerait avec les cimes, une grande étendue verdoyante, fleurie chatoyante à mes pieds qui courrait vers les arbres.

Mais je me perds si je vais trop vite.

La première étape suggérée par le journal, à priori source fiable d’informations, serait de passer à travers le mur du salon.
Probablement défouloir, mais très très con comme solution.
Cependant elle a le mérite d’être réelle.

Car le reste, la prison, les murs qui me submergent comme l’écume des jours, les mille fois sept ans de malheur à force d’aller de l’autre côté du miroir, le cadre infranchissable du plan tatoué dans les WC, la fenêtre appétissante formée par le rectangle de la télévision dans lequel je plonge, la sensation d’étouffement ressentie à chaque fois que je m’aventure dans le labyrinthe, la corde si courte solidement attachée au 56 de ma rue et dont l’extrémité se serre autour de mon cou lorsque je la tends trop, les semelles de plomb de mes escarpins rouges pailletés de Dorothy, la magie de l’excursion rêvée éveillée, l’oasis apportée par les mots d’amour murmurés à l’autre bout de la ligne téléphonique… tout n’est qu’illusion pour me faire suivre le fil qui me ramène à mon point de départ et de chute.
Ariane est facétieuse.

N’est-ce pas la vie elle-même qui est un songe ? Ce corps las et grison, ma prison ?

J’en conclus que ma boîte crânienne est la première barrière à briser ; sur ma tête le premier coup de pioche à donner, bien fort.

On dit qu’il y a une lumière si belle au bout d’un tunnel.

Quand aurai-je le courage de commencer à creuser celui de ma grande évasion, en acceptant de détruire mon rêve à deux balles et ma vie encore moins chère d’un coup de feu ou de burin ?

Partir vers d’inédits horizons.

Anne

Une réflexion sur “Libération

  1. vannina dit :

    Tu as indeniablement un don pour l’ecriture,j’ai savouré ton texte et j’aime l’illustration à la fin.Ceci dit ,ne vas pas t’aventurer trop loin,qu’on ne te perde pas.

  2. virg dit :

    Et bien, encore une fois, jolie prose, mais je dois dire comme Vannina que je ne trouve pas ca tres gai… et que ce n’est pas des genres d’idees sur lesquelles mediter.
    J’avoue que ces derniers jours j’ai moi meme eu des pensees du meme acabit, peut-etre parce qu’il y a beaucoup de tristes actualites de ce genre en ce moment; peut-etre parce que c’est janvier et que janvier c’est jamais le top pour moi, peut-etre parce que je viens de vivre une experience traumatisante pour une femme… peut-etre, peut-etre…
    Et puis j’ai realise, ou plutot rationalise mon malheur, mon malheur egoiste qui ne se passe que dans ma tete, avec cette injustice que represente la mort pour tous ces gens qui n’ont pas choisi de mourir…
    Franchement, il y en a tellement en ce moment, catastrophes naturelles, cancer et autres maladies, accident medicamenteux, etc…
    J’ai realise que mon spleen, ma depression est beaucoup trop injuste et irrespectueuse par rapport a tous ces morts. Alors, tous les jours, je vais lutter, au moins par respect.
    Ton blog, grace a Paolo et toi, est un outil de plus dans la lutte (et il me permet de me rappeler d’excellents moments passes avec l’un et l’autre, notamment Paolo, un grand merci pour cette conversation en tete a tete dans un restau italien, si tu t’en rappelle, moi, elle m’est tres utile aujourd’hui encore).
    Le tout est de se trouver toujours de bons outils du bien etre…
    J’espere que cette fin de post n’etait qu’un effet de plume, auquel cas, desole d’avoir plombe l’ambiance…
    mille baisers

  3. @ Vannina : Merci beaucoup. Ne t’en fais pas, je ne suis pas perdue.
    J’ai simplement envie, parfois, de partager avec vous autre chose que ma passion dévorante pour le shopping.
    Je me dis que le week-end est un bon moment pour tenter ça.
    Mais j’ai peur que cela vous ennuie.
    Ce sont des nouvelles, de petits bouts de moi dans un manuscrit, que je reformate un peu pour C&G… pas la réalité… de la fiction.
    En voyant votre réaction, je me dis que je mettrai probablement jamais celle où la narratrice se paye un gigolo 😉
    Bref, je vais bien !
    @ Whatdialike : Merci. Oui, le vrai luxe ici, ce serait vraiment plus d’espace…
    @ Virg : Oh ma chérie, je suis désolée si ma nouvelle a accentué ta tristesse et j’espère vraiment que tu vas mieux.
    Tu as raison pour Haïti… mais ne pas se donner le droit d’être triste pour des choses moins graves n’est pas une solution.
    « C’est bien la pire peine, de ne savoir pourquoi, sans amour et sans haine, mon coeur a tant de peine »…
    Tu as raison aussi en intro sur le fait que c’est pas très gai mon histoire. Pardon.
    Promis, je vais t’emmener dans de jolis endroits qui te feront oublier quelques instants que la vie n’est pas tous les jours un macaron Ladurée… (mais certains jours si !).
    Si C&G peut te faire sourire, crois moi, on va tout faire pour.
    D’énormes bisous à toi aussi et vivement que tu sois de retour sur Paris, parce que je compte bien t’embaucher pour aller faire des reportages où je ne peux me rendre (y’a de quoi faire ;))… si tu es d’accord évidemment !
    Prends bien soin de toi.

  4. Paolo dit :

    @Virg:Bien sûr que je m’en souviens, j’y pense moi-même souvent, mais tu n’as pas à me remercier, elle m’a apporté autant qu’à toi (c’est le bon côté des conversations, on peut donner tout en s’enrichissant…)

  5. virg dit :

    Merci a tous les deux pour vos reponses. Je suis prete a faire le reporter dans quelques coins obscurs de la capitale pour toi Anne, des debut fevrier…
    Je vous embrasse

  6. je me sens dans le même état d’esprit en ce moment… J’étouffe complètement. J’attend de recevoir mon wii fit pour faire un peu plus de sport et chasser cet esprit pessimiste… Quelle ironie!

    Il faut sortir de sa carapace mais c’est bien ça le plus dur! Aujourd’hui, rien ne me paraît réel!

  7. louisesoon dit :

    J’ai beaucoup aimé ce texte, tu as un talent indéniable pour l’écriture! et la photo est géniale!

  8. Mathyld dit :

    Anne, j’ai découvert ton blog il y a quelques jours et lis chaque jour quelques-uns de tes billets…tu as dû déjà le faire…écrire un bouquin, tu es vraiment douée pr l’écriture
    j’adore ton style !
    Mais si je fréquente peu de blog, j’aime bien « connaître » un peu la bloggueuse…et là j’ai fouillé mais n’ai rien trouvé sur toi! est-ce qu’il y a un post où tu te présentes à tes lecteurs/lectrices? sans rentrer dans des détails indiscrets…je suis un brin curieuse sans être « intrusive » comme disent ces chers Anglais!
    merci pour ta réponse et congrats encore pour ta prose !

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