Tapis affolant

Bon. C’est simple. Je vais y arriver. Les mesures sont correctes. J’ai pris mon mètre pour vérifier que mes yeux ne me jouaient pas de tours.

La largeur du tapis est la même aux deux extrémités de ce qui semble bien un rectangle. J’ai quand même aussi noté la longueur pour être sûre. Idem.

Le parquet est constitué de fines lattes toutes identiques, sans écarts entre elles. Il forme donc un ensemble de lignes parallèles… donc…

Si le tapis suit les lignes du parquet d’un côté sur toute sa longueur, il sera forcément, de l’autre côté aussi, bien aligné avec les lattes. C’est implacable de logique.

Et bien non !

Au départ je n’avais rien remarqué. Mais le décalage est impressionnant. J’ai pensé que le poids des meubles sur le tapis le déformait d’une manière ou d’une autre ou bien que dessous, une anomalie dans la pose du parquet expliquait cette aberration. Que nenni !

Je me suis bousillé le dos en poussant, soulevant, haletante, le canapé, les deux fauteuils, la table. La pièce est sens dessus dessous. Et mon tapis ne suit pas les lignes. Je n’aime pas ça du tout ! Chaque fois que je l’ajuste d’un côté, il se retrouve de biais de l’autre. J’ai tiré, remis le canapé en souhaitant que sa lourdeur me permette de forcer pour ajuster les bords. Après tout un tapis, c’est comme des chaussures, ça se fait. Mais celui-là non. La géométrie euclidienne élémentaire m’affirme scientifiquement que c’est possible.

Là.

Merde : Ça fait des plis et si j’aplanis, ça bousille tout !

Je vais devenir dingue. Je me dis que ce n’est pas grave. Qui regarde l’alignement d’un tapis ? J’ai tout remis en place. De la porte d’entrée je regarde et tout de suite ça me choque : cet endroit est de travers. C’était comment avant ? Avant que je ne bouge ce fichu truc pour le secouer, le taper par la fenêtre. Tant pis, ça devait être aligné à partir de l’autre côté.

J’enlève tout. Je recommence.

Là c’est de l’autre porte de la pièce, en sortant de la salle de bain, que ça saute aux yeux. Je ne peux pas laisser ça comme ça.

Virons tout. Aïe, ce putain de fauteuil au pied de bois m’a écrasé l’orteil ! J’en pleurerais…

Ok. Encore une fois. Je ne m’occupe plus du parquet, je prends la ligne du mur. Ça fera un compromis.

Mais ce mur n’est pas droit !

Posons-nous deux minutes. La pièce n’est certes pas un exemple de parallélisme, mais je jurerais que les murs sont des droites. Des segments plutôt. Et pas des courbes ! Mon tapis aussi puisque je peux l’aligner sur le parquet, d’un côté, de l’autre. Ok jamais des deux ça c’est étrange. Admettons qu’il soit trapèze, ce qui semble très con puisque j’ai mesuré et que les deux extrémités font la même dimension…

Je regarde soudain mon salon familier comme un traitre à ma santé mentale ! Diablerie !

Une dernière fois et je m‘en fous: si c’est pas droit je laisserai comme ça !

Non mais je peux pas laisser comme ça. C’est pas possible. C’est trop évident. Ça me donne des vertiges. A moins que ce ne soit la manipulation de toutes ces choses lourdes, efforts le ventre vide. Et puis mon orteil cogne…

Eurêka !!!
Je vais tout mesurer encore et faire un schéma. La pièce, ses murs, le parquet, la largeur des lattes, le tapis, le canapé, le buffet…

Non je ne vais pas faire ça. Ce serait vraiment dingue. Je ne suis pas folle.

Et puis merde. Je le fais, j’en aurai le cœur net !

Voi-là ! La pièce est un peu de guingois, mais le parquet est bien posé, le tapis est rectangulaire, la commode n’a qu’un petit centimètre de trapézisme. Ces deux heures ne sont pas perdues : si je veux vendre l’appartement ou changer le décor, j’aurai mon plan. C’est toujours utile un plan.

Mon plan est superbe. Je fais une règle de trois, je marque à la craie les 4 coins du tapis sur le sol. Déroulons. Victoire ! Enfin quasi victoire mais faut dire je vois flou à force de m’énerver là-dessus. J’efface la craie qui dépasse. Je replace les meubles. J’ai mal au dos. J’ai mal partout. C’est pas grave, ça les vaut : tout va être parfaitement nickel.

Pfff…

Ahhh

Non. Non. NON !

Au sol c’est top, mais vu de mes 1m60, depuis la fenêtre cette fois, rien ne va plus…

Peut-être que les murs sont droits par terre mais pas verticaux ? ça arrive des fois… et ça donnerait cette illusion d’optique ?

Je ne peux pas. Je suis comme dans « l’écume des jours ». Les murs se referment sur moi. Ou s’ouvrent vers le ciel, je ne sais plus. Faites quelque chose !

‘Bonsoir petite chérie. Bonne journée ? Tiens ? Où est passé le tapis ?’

‘Il était moche. Je l’ai donné. Les types d’Emmaüs sont passés le chercher tout à l’heure.’

‘Quoi ? Mais je l’aimais moi ce tapis ! T’as filé un tapis de famille super précieux à Emmaüs ? T’es dingue ou quoi ?’

Si tu savais…

Anne

Une réflexion sur “Tapis affolant

  1. Très drôle, je compatis avec le petit tapis apathique parti tapiner sans répit au paradis des tapis de la vie, et tant pis pour le parti tari…

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