Comment se faire pardonner en sept plats

Chic & Geek & Gastronomique est ravi et fier de vous présenter
(Roulement de tambour)
Une envoyée spéciale dans la capitale au péril de sa ligne de sylphide
(Roulement de tambour)
La merveilleuse, l’élégante
(Roulement de tambour)
L’anonyme et néanmoins sexy
(Roulement de tambour)
Lolita Duchemin* !

(Bravo, bravo)

Tout lecteur aura quelques (sinon nombreuses) anecdotes en tête à l’évocation du mot « voisinage » : charmants post-it revendicateurs sur le paillasson ou la porte d’entrée, protestations revanchardes et endormies au beau milieu de la nuit contre une cloison par trop festive, questionnements sur la nature de l’isolement mural (placo ? carton-pâte ? papier mâché ?), le tout soldé par des œillades noires dans le hall de l’immeuble à 8h un lundi matin.

Dans cet échange à peu près équitable de politesses auditives, vous aviez renoncé à appeler la police lorsque vos voisins ont bruyamment célébré la signature d’un contrat, en vous disant que vous gagniez le droit d’une violente scène de ménage à n’importe quelle heure, accompagné de celui de marcher en escarpins sur le parquet pour le mois à venir.

C’était mal envisager la générosité des nouveaux voisins (ou la valeur du contrat qui avait été signé sans l’aide des forces de l’ordre). Quand ils vinrent sonner sur le pallier, c’était pour déposer un « bon pour un excellent diner d’excuses – pour deux personnes » au restaurant Racines (2). Ah ! Vous saviez bien qu’un jour, la vie validerait l’adage maternel à propos de cette vague histoire de patience récompensée. Aussi, quelques jours plus tard, vous réserviez pour vous et une amie très chère dans ce restaurant inconnu au bataillon, mais vraisemblablement sympathique.

Vous aviez bien fait de choisir votre sœur de cœur car, à propos de cet organe vital, quelqu’un avec qui vous partagiez plus qu’une cloison murale se révélait de moins en moins agréable à fréquenter. Et vous, vous préfériez diner dans le calme (même si jeter dramatiquement un verre au visage de quelqu’un en public procure certainement une sorte de plaisir coupable de drama queen). Le samedi après-midi précédant le diner, le couperet tomba, et même si « c’était pour le mieux », le mieux vous donnait envie de plonger sous la couette pour la semaine à venir, et de ravager votre joli minois bien maquillé sans le moindre témoin, gardant précieusement vos reniflements pour vous seule.

Mais bon, vous étiez grande maintenant, et puis surtout, vous aviez faim. Du cœur ou de l’estomac, qui l’emporte ?
Vous avez pris votre courage à deux mains pour passer une robe et des bottines aux semelles de paillettes – car il fallait au moins ça – puis vous vous êtes rendue chez Racine (s) (2). Il aurait peut être quelque chose d’essentiel à vous faire savoir sur la vie, outre le fait que la tragédie classique persiste à contenir une ineffable saveur.

Installée en compagnie de votre amie, esthète culinaire et artistique à même d’apprécier mieux que quiconque la décoration d’un Philippe Starck, vous oubliiez un peu tout le reste, calfeutrées dans ce petit salon aux murs couverts de miroirs, à l’abri des cinq maigres degrés envahissant tout Paris, et la rue de l’arbre sec. Le « bon d’excuses » vous donna droit à un menu dégustation ; peu familières du concept, vous refaisiez le monde autour d’un verre de prosecco, lorsque une assiette de bonite arriva sur la table. Vous auriez surement osé demander ce qu’est la bonite, mais peut être était-ce une notion essentielle à côté de laquelle vous seriez passées ces dernières années (comme les derniers développements politiques du gouvernement) et à propos de laquelle vous n’oseriez plus poser de question à haute voix : juste entre vous et nous, il s’agit donc d’un poisson cousin du thon, supérieur à ce malheureux, et dont le nom vient du latin bonus, qui signifie « bon ». Le latin eut comme toujours raison. Puis il y eut un vin blanc de Loire, une raviole de langoustine nuageuse, et d’admirables salsifis en carbonara. Un rosé italien élégiaque pour qui serait revenu d’un séjour à Florence, un lieu cuit avec une infinie tendresse et vos soupirs de contentement repu. Mais Racines 2 ne comptait pas vous laisser vous en sortir à si bon compte ; un couteau à viande vint à la rencontre d’un autre vin dont le nom vous échappait déjà, remplacé par la légère ivresse heureuse de la liqueur carmin. Etiez-vous là depuis deux heures ? Combien de plats aviez-vous savourés ? Du veau accompagné de petits légumes enchanteurs rejoignirent la danse. Plongées dans une conversation qui ne devait s’interrompre que de sourires entendus à la dernière fourchette, vous aviez définitivement oublié toute la semaine passée. De délicats quartiers de pomme accompagnés d’un croquant de brioche vinrent vous achever. Vous reposiez la cuiller. « Voilà le second dessert ! » chantonna la serveuse en vous déposant une mousse légère de café surmontant une autre, parsemée d’un croustillant chocolaté ; après tout, cette cuiller pouvait bien encore vous servir… Sept plats et trois heures de rires plus tard, vous n’aviez pas même d’addition à demander. Ravies, vous ne pouviez que l’être, quelque part hors du temps et de Paris. Lorsque la serveuse vous affirma que vous aviez de gentils voisins, vous ne compreniez même plus à qui elle faisait référence ; ils avaient réussi le pari, aux côtés du chef et du service de ce formidable restaurant, de vous faire pardonner à la terre entière les misères prosaïques du quotidien. Racine assénait que « L’amour toujours n’attend pas la raison », mais un autre poète écrivait un siècle plus tard que « mieux que la raison, l’estomac nous dirige ». Du cœur ou de l’estomac, Racines 2 fit votre choix !

L.D.

Plus de photos alléchantes sur le site officiel de Racines (2)

*Hommage à Louis de Funès, bien sûr

Restaurant Racines(2)
39, rue de l’Arbre Sec
75001 Paris
+33 1 42 60 77 34
Site Internet

4 réflexions sur “Comment se faire pardonner en sept plats

  1. Anne, c’est très émoustillant tout ça, d’ailleurs je ne déjeunerai pas chez moi tiens. Je veux des choses tendres et croustillantes, fondantes, merveilleusement parfumées. Et je pensais… quoi… une chose… que c’était toi qui nous expliquerais comment réaliser ces petits chefs d’œuvres! Pour ta peine tu auras un gage: ouvrir une rubrique recettes merveilleuses. ❤

    • Anne dit :

      Ah Ah Ah !!! Enfin Eudoxie, tu m’idéalises totalement… m’as-tu déjà vu commander autre chose qu’un thé/coca/vittelfraise au restaurant ??? Des recettes de cuisine ? T’es sûre ? Je range mes chaussures dans mon four flambant neuf…
      Évidemment que ce n’est pas moi qui me cache derrière ce joli pseudo et cette prose délicieuse 😉
      Je suis comme toi : je lis, je salive, je souris…
      Bon déjeuner ?
      Bisous ma fée des roses

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  3. Zut, j’ai pour voisins des pompiers qui ne fêtent que la Sainte-Barbe, et se le sont fait pardonner au fil des années en volant à notre secours à chaque accident d’enfant (et même le jour où ma cervelle a fondu, mais en fait c’était pas ça)… Quoi qu’il en soit, j’espère que ce tribute au mythique guide Duchemin n’est que le premier d’une longue liste à venir ! 😉

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