Black out total.
Je m’éveille péniblement dans une obscurité verte.
Passer la main sur mon visage pour rafraîchir mon front qui brûle se révèle impossible : le bras est ligoté, au coude, au poignet.
Je suis attachée au mur, plaquée minutieusement : à quoi bon car mes doigts, mes jambes que je sens pourtant, refusent obstinément de bouger.
Une secousse, plusieurs… où m’emmène-t-on ?
Ne devrais-je pas me demander d’abord ce que je fais là ?
Je cherche des souvenirs. Rien.
Lucide mais incapable de me rappeler d’un quelconque avant cet éveil brutal.
J’ai dû être droguée. Ou bien un accident.
Je n’ai mal nulle part.
Mais je commence à avoir un peu peur. Un peu ? Pas si lucide donc. Je devrais hurler, paniquer, appeler à l’aide.
Tout mon esprit est cependant concentré sur cette quête d’une identité perdue et aucun son ne sort de ma bouche.
J’attends.
Soudain le vert se déchire.
Une lumière aveuglante me transperce et révèle probablement à un autre ce que je ne peux plus voir. On me libère, sans ménagement. Mes membres sont arrachés au fond du véhicule, les liens défaits. Je suis tiraillée par un bras, une jambe, serrée.
Aveugle toujours je ne peux voir qui et pourquoi cette soudaine délivrance dans la douleur. Mais de délivrance, elle n’en a que le nom car je suis toujours paralysée et vraisemblablement pas dans un hôpital. Il me porte. Me traîne, me sort de là. Dois-je m’en réjouir ?
J’entends sa voix, des cris, une langue que je ne connais pas, assourdissante.
Où suis-je bon sang ?
Je voudrais pouvoir au moins regarder autour de moi, savoir pourquoi j’ai si mal.
Ma langue est collée à mon palais, mes lèvres ne s’entrouvrent pas.
Tétanisée, aveugle, quasi sourde et me voila muette. Pas bon signe.
Si je ne sentais rien, je dirais que je suis morte…
Le suis-je ?
Est-ce ça la mort ?
Non je me sens vivre et mon cœur battre si fort au rythme de la douleur cinglante de mon bras serré, écrabouillé.
Un choc. Un second, à la tête, et je perds connaissance, si l’on peut appeler connaissance le peu de conscience que j’avais de ce qui m’arrive.
Noir.
Mes yeux s’ouvrent sur le rose satiné des draps matelassés sous moi.
On m’a vêtue d’une longue robe de mauvaise qualité et au goût douteux de petite fille qui rêve d’être grande pour être désirée.
Autour de moi, une chambre de pute, de cocotte, du bonbon à gerber partout. Pas de fenêtre.
Mes paupières sont lourdes de fard, mes cheveux étalés brillent de reflets psychédéliques autour de mon visage trop colorié.
Je devrais être rassurée mais je me demande si le pire n’est pas à venir.
Je reste immobile avant d’entendre approcher des voix.
D’autres cris étouffés sortent des murs. Je les ressens plus que je ne les entends. Comme si chaque pièce de cette maison de dingues était le théâtre d’une scène de torture.
Pour la première fois, je vois le visage de mon bourreau.
Ou bien est-ce un sauveur inespéré ?
Un médecin ?
L’homme s’approche, sourire aux lèvres, de près vicieux, figé. Il me parle et je ne comprends pas. Je n’arrive même pas à savoir si son ton est doux ou mielleux.
De quel côté est-il ? Du mien de plus en plus car il s’approche dangereusement.
Je suis prise, retournée, déshabillée en hâte.
Je le sais nu aussi derrière moi et je tremble à l’intérieur.
Je ne veux plus penser. Il est méchant.
Oublier, oublier.
Et je m’entends demander « encore encore ».
Ce n’est pas moi qui parle et il s’acharne sur mon ventre inerte, couvre de son visage le mien. Je ne vois plus rien que ses yeux glauques, inexpressifs et je sens nos corps entrelacés sans savoir s’il me pénètre, combien de fois ou de quel côté.
Ma jambe douloureuse se retrouve presque derrière mon oreille pour lui laisser la place et le champ libre.
Je veux le repousser. Je ne peux pas.
Je suis dans un bordel. Je suis un corps dont on se sert.
Un corps souple, manipulé, désarticulé, répondant à toutes les sollicitations sauf aux miennes. Salie, souillée, bafouée, humiliée par l’homme qui part indolent, l’autre qui arrive.
Une femme plus vieille qui me ressemble passe aussi. Me regarde, me frappe et part encore.
Honteuse et triste mais seule enfin.
Noir.
La douleur me rappelle à moi quand je voudrais ne plus être.
Mes nouveaux vêtements arrivés par magie sont arrachés, déchirés.
Je sens le regard curieux et sadique sur mon corps dévoilé.
Impuissante toujours, j’assiste avec horreur au spectacle de ce qui semble être mon autopsie. Ma jambe est coupée. Des lames s’approchent de mon visage que je ne peux protéger et le lacèrent.
Le décor a changé. Blanc. Trop de lumière.
Cette fois mes yeux grands ouverts ne se ferment pas quand s’approche le couteau. J’ai juste le temps de voir qu’un de mes bras a été arraché.
Mon œil droit regarde s’approcher la pointe qui le crève.
Je suis comme un insecte piqué sur une planche par un entomologiste pervers qui lui ôterait une à une les ailes, les pattes, froidement.
Ou bien cette torture a un but ? J’avoue, tout et tout de suite… mais rien ne vient. Je n’ai rien à dire, rien à confesser, qu’à supporter l’horreur de me voir d’un œil écartelée.
Ma tête est pressée comme dans un étau, mes longs cheveux tombent sur le sol qui m’entoure. On me rase le crâne.
Quand sommes-nous ?
Qui sont-ils ?
Qui suis-je ?
Ai-je couché avec les allemands ? Quel souvenir, quelle connaissance acquise m’inspire cette hypothèse farfelue ?
Même en sachant la fin proche, je ne peux que penser à mes beaux cheveux perdus, à ma silhouette parfaite de Barbie détruite, à mes yeux bleus jolis crevés…
Après les jambes, on m’arrache la tête.
Elle s’éloigne du reste, de ce qui reste de moi et d’en haut je peux enfin découvrir que je ne suis qu’une poupée, démantibulée, victime de la curiosité même pas perverse ou sadique, mais saine, légitime, d’un enfant.
Son regard dégoûté sur moi, son rejet capricieux, son désintérêt, m’achèvent, et j’en meurs.
07 janvier 2011 – Cette courte nouvelle a été rappelée à ma mémoire par les poupées BJD de Blanche Alix dont je vous parlais il y a peu… Elle y a trouvé une illustration.
Je la déterre donc de mes archives pour vous la livrer, brute…
et ajoute quelques images, c’était le but :
Images : Blanche Alix Dolls et Forum Matériel Céleste
ce quelques lignes m’ont encore plus mal à l aise que les poupées!
les mettre en fond sonore sur un diaporama de ces poupées, serait pour moi le frisson assuré!
j en ai oublié la moitié des mots !! (comme elle je perds la tête!)
je voulais dire que ces quelques lignes m’ont mise encore plus mal à l aise que les poupées!
Belle poupées!!!
ANGELA DONAVA
Je ne verrais plus jamais les poupées du même oeuil.Brr tu m’as fais froid dans le dos.
oeil ,pardon mais j’etais troublée par ton texte
Ouille, je suis désolée les filles…
J’ai hésité à mettre ce texte un peu dur à découvrir surtout sans avertissement. Il m’est plus familier, son écriture même est déjà loin.
C’était difficile de prévenir au début que c’était une nouvelle et pourquoi elle était là sans dévoiler la fin.
Je suis embêtée si j’ai heurté des sensibilités avec mes élucubrations du dimanche, sortant un peu de ce que vous avez l’habitude de voir sur C&G.
Si vous pensez qu’il n’a rien à faire ici et que je dois l’enlever, dites-moi.
Bisous
Anne
non pourquoi l enlever ?il est une illustration adaptée à ces poupées!
il est surprenant, perturbant mais les poupées aussi ! 🙂
et je le trouve bien écrit je n’ai pas pu le lâcher avant le dernier mot !
donc pour moi surtout pas de censure!
bonne soirée 🙂
(regardez sous vos lits quand même ;°D)
J’ai eu des frissons courant tout le long du dos pendant ma lecture… Ahh Anne, ça me terrifie. Tu crois que ça vit comme ça une poupée? Je me demande. Il y en a qui ont des vies toutes molles, d’autres passent leur vie dans un tiroir (pas marrant). C’est vrai qu’on a tendance à leur faire violence, pour voir ce qu’il y a dedans. Très bizarre… Pauvres filles.
Coucou Belle Eudoxie !
Je ne crois pas non… Je pense que la plupart ont des vies plutôt chouettes en fait^^
Mais je crois vraiment qu’elles se mettent à avoir conscience dès qu’on leur en prête une, en posant les yeux sur elles, comme les autres jouets (le contraire de Toystory en fait…)
Mais c’est un secret que seuls les enfants connaissent. La plupart du temps, c’est tout en douceur, en câlins et en amour… parfois ça dérape un peu. Ouille.
Bisous
Anne
J’adore cette nouvelle, elle me fait penser à du Poe !