Je suis d’humeur photographique ces temps-ci, et j’ai encore envie de vous parler de préserver les technologies « d’avant » de la tempête du progrès à tout prix.
Il se trouve aussi que j’aime le Noir & Blanc.
Pendant des décennies, le N&B était purement et simplement la seule façon de photographier et filmer. Est arrivée ensuite la couleur, mais pour diverses raisons, pratiques (on peut développer et tirer des photos N&B chez soi, pas en couleur), économiques (développement et tirage N&B coûtaient moins chers qu’en couleur), et esthétiques, la photo N&B est restée vivante.
L’arrivée de la photo numérique a partiellement changé la donne, toutefois, car en supprimant les raisons pratiques (il n’y a plus de développement et tirage), et économique (les imprimantes couleurs ne coûtent plus rien, et le coût par impression est identique en N&B et couleurs) il ne reste plus que le parti pris esthétique.
En résumé, on voit beaucoup moins de photos N&B qu’avant.
Ce ne serait pas un souci, chacun étant libre de photographier comme il le souhaite, si le raz de marée de la photo numérique n’avait peu à peu limité le choix d’un labo photo aux labos pro relativement chers…
L’intérêt du N&B est selon moi double, d’une part le fait que l’absence de couleurs permet de se concentrer sur la qualité de la lumière, sur l’ambiance, la force d’un regard, la texture des matières. C’est évidemment un point de vue personnel, mais je trouve que la couleur d’une certaine manière « parasite » l’image en s’appropriant l’attention du spectateur. D’autre part, à cause du grain argentique présent dans les pellicules N&B qui est en quelque sorte la « matière » photographique, une photo sans grain me fait un peu l’effet d’un poster reproduisant un tableau face à l’original peint à l’huile, les formes sont là, mais la matière qui a servi à les matérialiser est absente.
A partir de ces deux points, j’ai réfléchi aux meilleures méthodes pour continuer à photographier en N&B
1. Le « tout analogique »:
La première, et en apparence plus simple méthode, consiste à refuser tout simplement le changement, continuer à utiliser un appareil photo argentique, développer et tirer ses photos soi même ou les confier à un labo. Pas grand chose à dire sur cette méthode, si ce n’est que tout le monde ne peut pas se permettre d’avoir un labo photo à domicile, l’exercice ayant tendance à monopoliser une pièce disposant de l’eau courante et à créer des tensions non négligeables dans tout ménage n’habitant pas une ferme à la campagne, ni à s’offrir les services d’un labo pro développant et tirant du N&B correctement. (A titre d’exemple, un tirage 24×30 N&B de qualité va coûter aujourd’hui entre 14 et 50€)
2. Le « tout numérique »:
Il est évidemment possible, et j’en vois dans le fond qui trépignent depuis le début de l’article en levant la main, de photographier avec un appareil photo numérique, reflex de préférence (les soucis liés aux petits capteurs des appareils compact expliqués ici devenant rédhibitoires en N&B) puis de convertir l’image en N&B et l’imprimer. On peut même, à l’aide d’outils logiciels comme DxO Film Pack ajouter par la suite le grain argentique correspondant au film que l’on aurait souhaité utiliser.
Bien que je ne sois pas totalement opposé à cette méthode, je la trouve un peu artificielle, mais surtout, je lui trouve comme défaut celui de ne pas profiter de l’aubaine pour les photographes amateurs que représente un marché de la photo argentique en totale perdition.
3. La « méthode mixte »:
En effet, l’arrivée de la photo numérique a également eu comme conséquence de déplacer les investissements des fabricants en développement et marketing vers ce nouveau type d’appareils. Le résultat est un marché du matériel argentique d’occasion totalement atypique, avec une offre immense et une demande ridicule. Les passionnés de photo peuvent du coup avoir accès à des appareils jadis inaccessibles aux amateurs pour la fraction du prix d’un reflex semi-pro numérique.
A titre d’exemple, je vous invite à jeter un oeil aux enchères ebay d’appareils moyen format analogiques ici.

Hasselblad 503 CW
Ce n’est pas par hasard que je parle d’appareils moyen format. Le moyen format, (4.5×6, 6×6, 6×7 sur film 120 ou 220) a plusieurs avantages pour l’expérience que je voudrais vous décrire.
Capables de shooter des images de grande qualité (ils étaient tout de même les outils favoris des studios avant le numérique), dépourvus de la plupart des automatismes (en tout cas les modèles à prix convenable) et disposant d’un grand verre dépoli pour composer son image, ils permettent d’envisager la photo de manière différente, de revenir à une pratique de la photo où chaque déclenchement est réfléchi, où on ne peut pas shooter à tout va, puis faire le tri sur un écran LCD.
De plus, ils produisent des négatifs de grande taille, qui sont importants pour la suite des opérations.
Une fois les photos faites, deux solutions se présentent:
– Faire développer le film sans tirages ou avec juste une planche contact pour une somme raisonnable (entre 10 et 15€ pour un film 120)
– Développer soi même le film, opération relativement simple qui ne mobilise pas une pièce entière, un coin de salle de bain suffit.
A partir de là intervient la partie numérique des opérations.
Il existe aujourd’hui des scanners et des imprimantes accessibles capables de numériser un négatif moyen format et de l’imprimer à des résolutions permettant de conserver le grain argentique. L’intérêt lors de ces opérations d’avoir à disposition un négatif moyen format plutôt que 24×36 est de simplifier la manipulation, tout en obtenant de plus gros fichiers par image à résolution égale dans le cas où on souhaite des impressions de plus grande taille.
La numérisation pourra être effectuée avec un scanner comme l’Epson perfection V600 photo, ou V700 photo par exemple.
Ces scanners sont optimisés pour la numérisation de négatifs et diapos, le modèle 700 étant supérieur en termes de densité, le 600 étant meilleur marché, et permettant de scanner instantanément grâce à son éclairage par LED ne nécessitant pas de préchauffage.
L’impression pourra se faire, par exemple encore avec un produit Epson, l’imprimante Stylus Photo R2880 particulièrement à l’aise dans l’impression de photos noir et blanc, grâce à ses 4 encres Noir photo, Noir mat, Gris et Gris clair. C’est une imprimante A3+, capable donc de tirages de grande taille, excellente aussi en couleurs (5 couleurs, Cyan, Cyan clair, Jaune, Magenta, Magenta clair).
(Cette petite parenthès pour préciser que cet article n’est pas sponsorisé par Epson 😉 il se trouve juste que je considère leurs scanners et imprimantes les mieux adaptés à la photo dans ces gammes de prix).
Pour celles et ceux qui, comme moi, sont sensibles au coûts prohibitifs des cartouches d’encre pour les imprimantes, sachez que Permajet propose des kits permettant de s’affranchir des cartouches originales, d’économiser environ 80% du prix à l’impression, et d’ajouter une encre grise en plus (Gris clair clair) pour améliorer encore le rendu des nuances.
Conclusions:
Ce que j’aime dans cette méthode mixte, c’est qu’elle permet de photographier sur du vrai film N&B argentique, tout en obtenant des impressions de grande qualité (n’oubliez pas que le négatif une fois numérisé, Photoshop est votre ami, avec toutes les possibilités de retouche et de maquillage qui, lors d’un tirage classique ne sont applicable que par des professionnels très expérimentés). De plus, si vous estimez que certaines de vos images méritent un traitement traditionnel jusqu’au bout de la chaine, cela reste tout à fait possible.
Accessoirement, vos négatifs originaux resteront impeccables des décennies durant, pour peu qu’ils soient stockés convenablement, vous mettant à l’abri des risques de catastrophes que les disques durs en panne, les sauvegardes aléatoires et les changements de supports futurs peuvent vous faire courir.
Paolo
Super article, merci! Je suis en pleine création de ma marque, et le choix du type d’appareil se pose (budget serré)… Et comme j’ai tjrs étais fan des belles photos en N&B (Doisneau and co…), je vais peut-etre faire un tour sur eBay moi…!
Tout à fait intéressant !
J’en suis arrivé aux mêmes conclusions et comme tu le sais j’ai carrément opté pour l’achat sur e-Bay d’une chambre 20×25 cm avec des optiques d’une qualité inouïe…
Un peu encombrant, je n’ai pas encore trouvé les chassis à un prix discount, mais j’ai presque réuni tous les éléments et je te fais signe dès que je suis opérationnel.
Super article effectivement.
Comme toi Paolo, j’aime la photo et les appareils. Je suis séduit par ton approche ‘mixte’. Sauf que, sauf que… Ca reste théorique.
Si tu me jures qu’effectivement tu as racheté un 6×6 et que tu tires des photos dans un coin de ta salle de bains alors je dis chapeau 😉
Sinon, on peut déjà s’amuser en numérique parce que ça ne coûte rien. Perso je pars des fichiers raw et j’utilise le mode de transfert NB d’aperture (plus simple que les mélanges de couches sous photoshop) en mélangeant les courbes et en simulant divers filtre. Ca ne coute rien, ça ressemble à une phase de développement dans le sens où on donne vie à sa photo et c’est déjà un peu de plaisir.
@Jerome : respect pour la chambre 20×25…
J’avance, j’avance… j’ai acheté récemment un vieux Blad, corps, magasin 120 et un objectif Zeiss planar 80mm/f 4, le scanner et l’imprimante dont je parle plus haut sont à côté de moi, encore dans leurs cartons car la semaine prochaine je réorganise mon bureau à la maison.
Reste la partie développement, mais pour démarrer j’ai trouvé un petit photographe irréductible à 3km de chez moi qui développe encore le N&B à la main, je vais probablement lui confier mes premières bobines.
Je t’en dirai plus très bientôt 😉